La Vingt-Cinquième Heure et la salle de cinéma virtuelle
Entretien avec Pierre-Emmanuel Le Goff
Avec 25 000 spectateurs, en France, en un mois de confinement, La Vingt-Cinquième Heure se distingue. A travers une salle de cinéma virtuelle, cette société propose des séances événementielles géolocalisées autour des salles de cinéma réelles, en poursuivant l’exploitation de films distribués avant le confinement ou en lançant désormais, en partenariat avec leurs distributeurs, de nouveaux films. Notons que la géolocalisation a souvent été évoquée lors des débats sur la VoD et les fenêtres d’exploitation, comme un moyen de permettre à des films d’auteurs de trouver un public grâce aux nouvelles technologies. Pierre-Emmanuel Le Goff, PDG de La Vingt-Cinquième heure, revient ici sur la trajectoire de sa société et donne quelques pistes sur le devenir de cette salle virtuelle, qui a déjà permis plus de 500 séances (dont 200 avec des débats), dans près de 200 cinémas français.
Pouvez-vous revenir en quelques mots sur le passé de la société et son évolution ?
Avant de fonder la société, j’avais eu une expérience innovante en production, en mettant en place la première expérience de financement participatif d’un film intitulé ALICE AU PAYS S’EMERVEILLE de Marie-Eve Signeyrole. J’avais aussi eu une expérience de la distribution en dirigeant la sortie de DONOMA de Djinn Carrénard, en 2011, un film autoproduit tourné en mode guérilla.
La Vingt-Cinquième Heure, société de production et de distribution, est née l’année suivante. Nous avons à ce jour produit et distribué une vingtaine de films, du court au long-métrage en passant par les documentaires TV et les films IMAX ou pour les planétariums.
Notre souhait, dès l’origine, a été d’innover et d’explorer de nouveaux territoires de narration, du financement à la distribution, en utilisant les outils numériques. Notre production la plus emblématique s’est faite autour de la mission de l’astronaute Thomas Pesquet, qui a donné lieu à divers formats : un documentaire télé, une production Imax de 30 minutes, deux films de cinéma (16 LEVERS DE SOLEIL et THOMAS PESQUET, L'ETOFFE D'UN HEROS), deux films planétarium, un film en VR, le premier tourné dans l’espace, qui a circulé grâce à notre VR Box dans les salles françaises et à l’étranger… Le point d’orgue de ces sorties a été une soirée au Grand Rex en présence de l’astronaute Thomas Pesquet qui a réuni plus de 3200 spectateurs. Durant cet événenement, nous avons installé une salle éphémère pour la diffusion de l’expérience VR et fait jouer Guillaume Perret, le compositeur de la musique du film. Nous avons d’ailleurs édité la BO avec SONY et PIAS et nous sommes aussi éditeurs du combo BLURAY/DVD … La salle occupe pour nous une place essentielle, notre métier étant de trouver des solutions pour toucher le public avec des contenus innovants et de créer l’événement.
Nous avons séparé la distribution de la production en créant une nouvelle société, début 2018, pour la sortie de 16 LEVERS DE SOLEIL. D’un côté, la production, de l’autre la distribution, l’édition, la VR et maintenant la salle virtuelle.
Comment s’est orchestrée la mise en place de ce nouveau service, la « salle de cinéma virtuelle », qui semble être arrivée au bon moment, lorsque les cinémas ont été amenés à fermer en raison du virus?
Cette activité était en fait en préparation avant la fermeture des cinémas français.
Les films que nous produisons et distribuons circulent majoritairement dans des salles indépendantes et trouvent leur public sur le long terme, notamment au travers des rencontres entre les réalisateurs, le public et des acteurs de la vie associative. Or les séances débats sont difficiles à financer, les salles n’ont pas forcément les moyens de payer le déplacement des professionnels, qui eux-mêmes ne sont pas rémunérés pour cela. Les réalisateurs ne peuvent pas faire plus d’une quarantaine de rencontres, c’est trop chronophage.
Nous voulions permettre à nos films de rencontrer leur public, via la salle de cinéma et la rencontre en salle, même si le film tourne déjà depuis de nombreuses semaines dans les cinémas. Nous avons donc développé un outil et voulions faire payer la séance 1 euro de plus pour reverser ces recettes supplémentaires au réalisateur.
Le concept de salle virtuelle devait être lancé pour LES GRANDS VOISINS, LA CITEE REVEE, dont nous sommes le producteur et le distributeur. La fermeture des salles le 15 mars a donné une autre résonance à notre idée.
Techniquement, était-ce compliqué ?
Oui. Le but était de permettre aux spectateurs potentiels d’une salle, mais qui n’ont pas la possibilité de s’y rendre, notamment pour des contraintes matérielles ou d’éloignement, de participer à la même séance que les spectateurs présents dans la salle.
La possibilité, avant l’annonce de la fermeture générale, que la jauge des salles soit limitée (par exemple de moitié) nous a aussi poussés dans le même sens, l’idée étant de compléter ce manque par des spectateurs « virtuels ».
Le problème majeur a donc été de trouver les moyens techniques de géolocaliser les spectateurs autour d’une séance virtuelle, en se basant sur la zone de chalandise des salles. La programmation d’un film en virtuel par une salle ne devait pas empiéter sur une autre salle. Concrètement, la limite se définit avec le cinéma et se situe à peu près dans un rayon compris entre 5km autour de la salle dans les grandes villes et 50km dans les zones moins peuplées. Ce travail de développement, pour permettre la géolocalisation, nous a pris un mois.
La Vingt-Cinquième Heure: Entretien avec Eric Gouzannet, Arvor, Rennes
Quel a été l’effet de cette proposition ?
Nous avions prévu une cinquantaine de salles pour la sortie des GRANDS VOISINS, avant la pandémie. Parmi les salles fermées, nous en avons « récupéré » une vingtaine avec la salle virtuelle pour la semaine de la sortie. A ce jour, le film a été programmé via une centaine de cinémas, durant la période de fermeture.
Depuis, des distributeurs nous ont confié leurs films. 200 salles et 30 distributeurs participent maintenant à ce service. Nous touchons essentiellement des salles art et essai, des ententes de programmation, mais aussi des chaînes de salles désormais. Les premiers distributeurs étaient membres du SDI comme nous (Syndicat des Distributeurs Indépendants). La palette s’élargit actuellement, avec Studiocanal par exemple, Eurozoom après Jour2Fête et Shellac…
Exploitants et distributeurs sont extrêmement enthousiastes. Ils peuvent de nouveau faire leur métier, et réunir le public autour d’oeuvres qui permettent d’éclairer le monde et de préparer la jour d’après.
Quels sont les résultats ? Quel est le partage des recettes ?
Le prix de la place varie de 3,50 à 6 euros voire 8 euros. 40% des recettes d’une séance vont au cinéma, 40% au distributeur, 20% à La Vingt-Cinquième Heure. C’est le partage qui nous parait le plus juste. En distribution classique, nous sommes sur un partage à 50/50.
Les premiers résultats sont bons et nous devrions rentrer dans nos frais à court terme. Une séance récente, via le cinéma Arvor à Rennes, a permis de vendre 269 billets à 6 euros alors que la grande salle du cinéma ne peut accueillir que 250 personnes. Sur les bonnes séances, la capacité réelle de la salle est dépassée. La toute première séance virtuelle, l’avant-première des GRANDS VOISINS avec le Luminor à Paris, avait attiré plus de 1000 spectateurs (dont les invités). Ce week-end, pour une séance en avant-première du film DOUCE FRANCE sur plusieurs salles de région parisienne, notamment Le Méliès à Montreuil, nous avons avons vendu 531 tickets, sur un total de près de 700 connexions avec invités, donc plus de 1500 spectateurs, la moyenne par foyer connecté étant de 2,4 personnes connectées.
Quels sont les développements prochains?
Nous sortons la V2 du site cette semaine. Techniquement, notre site soutient facilement la demande. Nous pourrons nous poser la question d’upgrader nos serveurs si nous atteignons par exemple 10 000 connexions simultanées.
Du côté des salles et des spectateurs, la géolocalisation ne pose plus de problème. En cas de difficulté les spectateurs peuvent être localisés sur la base d’une déclaration et d’un justificatif de domicile à fournir.
Cependant, il faut savoir que 6 personnes travaillent sur le seul développement du service, parmi une douzaine de collaborateurs. Paradoxalement, dans cette période particulière, nous recrutons. Un de nos informaticiens passe concrètement ses journées à créer des séances. La V2, via une nouvelle interface pour les distributeurs, vise notamment à leur donner la main dans la création des séances. A 30 voire 50 séances par jour, nous pouvions gérer, mais si de gros distributeurs arrivent avec des sorties prévues dans 300 salles, cette nouvelle version du site intégrant un back office pour les distributeurs sera indispensable.
J’imagine que vous collectez des données. Que vous révèlent-elles ?
Nous savons que 30 à 50% des tickets sont achetés à l’avance, ce qui nous a surpris et nous permet d’anticiper. Chaque connexion est suivie comme je le disais par 2,4 spectateurs en moyenne. Des données encore plus précises, des comparaisons entre les salles, vont nous permettre d’affiner les propositions en fonction du public et de la thématique des films.
Comment voyez-vous l’avenir de ce service, notamment pour les salles de cinéma ?
Nous reproduisons, certes dans le contexte très particulier de la pandémie, un mode de programmation proche du réel. Les distributeurs conservent leur rôle, ce sont eux qui nous proposent les salles de cinéma et ils gèrent également les invités pour les présentations et débats en ligne (c’est ce que nous faisons nous-mêmes sur les films que nous distribuons). Du côté des salles, nous avons commencé par travailler avec, bien sûr, des salles art et essai que nous connaissions pour leurs relations avec les associations locales et leur capacité à fédérer une communauté, via les réseaux sociaux, leur mailing list, etc. Le succès d’une séance, qui reste géolocalisée, doit beaucoup, comme toujours pour l’événementiel, à la force de communication de la salle de cinéma et à sa capacité à faire de la médiation. Une séance peut ainsi attirer entre 5 et 300 spectateurs en fonction de la situation de la salle et de son expérience. On retrouve aussi maintenant dans nos relations avec les salles des comportements de négociation proches du réel, tel cinéma s’intéressant à un événement précis et pas à un autre en fonction de son public.
Ce duplicata virtuel du marché a aussi pour vertu d’accélérer, pour certaines salles de cinéma, une forme de transition vers des outils promotionnels en ligne. En outre, au-delà des fruits économiques, cet écosystème fait d’autant plus de bien que nous parlons ici de films qui ont un contenu en rapport avec notre situation actuelle, parlent de la transition écologique, participent de la construction de récits, de la suggestion d’alternatives dont nous avons tous besoin.
Notons que nous essayons aussi d’être vertueux d’un point de vue écologique et citoyen en reversant une compensation carbone de 10 cts par visionnage et en proposant aux intervenants de reverser leur euro de bonus par ticket vendu à une cause de leur choix.
J’espère enfin que cela permet de développer un nouveau public, plus jeune et présent en ligne, qui va peut-être découvrir la force des séances événementielles et de la rencontre, pour mieux ensuite, dans quelques semaines, fréquenter les salles qui proposent ces films et ces événements.
Souhaitez-vous développer ce service à l’étranger ?
Nous travaillons déjà avec les Instituts français et les alliances françaises. Nous avons des demandes de festivals et nous allons annoncer des partenariats en ce sens, ainsi qu’une association avec les distributeurs et vendeurs tels que Wide House et Be for Films pour l’organisation de séances à l’étranger. Nous allons bien sûr devoir nous adapter à des réalités fiscales et économiques différentes ainsi qu’à la nécessité de traduire le site.
Pensez-vous que nous allions vers une reconnaissance de ces séances, en France, comme des séances à part entière ?
C’est notre souhait et nous préparons un dossier à ce sujet pour le CNC. Une sortie en salle virtuelle peut-elle être considérée comme une vraie sortie et pourrions-nous reverser de la TSA et accéder au fonds de soutien comme nous le souhaitons? La question avait été posée avant la fermeture et le confinement mais ce n’était pas le bon moment. Maintenant, nous pensons que nous avons les éléments pour démontrer que ce système fonctionne.
Pierre-Emmanuel Le Goff
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Mai 2020
Jean-Baptiste Selliez
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La Vingt-Cinquième Heure: Entretien avec Eric Gouzannet, Arvor, Rennes
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