Pays-Bas : Picl, le modèle ?
Entretien avec Anke van Diejen
Picl n’est pas une plateforme VOD classique. Ce service de VOD qui s’appuie sur une étroite coopération avec les salles art et essai s’est développé aux Pays-Bas depuis 2015, à peu près en même temps que Kino on Demand en Allemagne et La Toile en France. Ces services sont d’ailleurs venus partager leur expérience lors des dernières conférences Europa Cinemas. Avec la crise du Covid-19, ils se sont retrouvés en pleine lumière et ont inspiré d’autres plateformes. Pour toutes ces raisons, nous avons parlé avec Anke van Diejen (sa co-fondatrice avec Noortje van de Sande) du modèle Picl. Passant de 22 à 36 cinémas affiliés depuis le début de la crise, Picl a touché 6 fois plus de spectateurs par semaine qu’auparavant.
Pourriez-vous nous en dire plus sur la genèse de Picl (anciennement appelé Film't'huis) ?
Picl a débuté en 2015. Nous étions tout d'abord actifs dans les relations presse et la distribution, avec l'agence Herrie Film & TV. Nous avons développé des campagnes marketing pour des films art et essai et le nombre de films augmentait chaque année. Construire une campagne qui touche les gens demande beaucoup d'énergie et d'argent. Or seul un petit nombre de personnes finit par voir ces films au cinéma en raison de la place limitée dont disposent les salles pour chaque film.
Nous avons alors discuté de la possibilité d'étendre, en ligne, la programmation de la salle. Cette idée a permis aux salles de toucher les spectateurs qui voient beaucoup de films mais qui n'ont pas le temps d'aller au cinéma. Tout en générant tout de même des revenus pour chaque visionnement.
Nous avons commencé avec 6 cinémas en installant un lecteur sur leur site. En 2017, nous avons réalisé qu'il était préférable d'avoir une plateforme séparée plutôt que d'en intégrer une sur chaque site, ce qui nous permet de commercialiser la plateforme pour tous les cinémas. 14 cinémas ont rejoint Picl dans un premier temps. Nous en comptions 22 avant la crise.
Les exploitants étaient-ils réticents?
Certains l'étaient, surtout à cause de la sortie simultanée. Néanmoins, nos études ont montré que les utilisateurs de Picl sont pour la plupart des cinéphiles qui, pour diverses raisons, ne peuvent pas aller au cinéma au moment voulu (horaire de la projection, film ne passant plus au cinéma ou pas dans un cinéma à proximité). Ce fut un tournant pour les exploitants.
Comment sélectionnez-vous les films qui vont sur Picl ? Les exploitants participent-ils à la sélection ?
Nous contactons les distributeurs et décidons avec eux des films qui peuvent aller sur Picl et de la meilleure stratégie: sortie simultanée ou différée. Nous proposons ensuite cette sélection aux exploitants et chacun compose sa programmation en ligne.
Picl n'est pas une plateforme de VOD, nous n'avons pas de catalogue de films. Comme dans une salle de cinéma, les films sont disponibles sur la plateforme pour une durée limitée.
Comment partagez-vous les revenus ?
Le prix d'un film est de 8,50 euros pour les exclusivités Picl et de 4,99 euros pour les films art et essai fraîchement sortis des salles. La répartition des recettes est la même que pour la sortie en salle et elle est conforme aux accords entre le distributeur et l'exploitant. Un petit pourcentage de chaque billet est reversé à Picl et les exploitants paient en outre une petite redevance annuelle. Chaque vue est attribuée au cinéma où le visiteur a acheté le film. Picl est une fondation, notre but est de créer un système de solidarité qui profite à tout le monde.
Comment décidez-vous des titres en sortie simultanée ?
Nous avons fait des recherches pour déterminer le type de films pour lesquels il est important de sortir en simultané. Les résultats ont montré que pour les films plus petits et vulnérables sortis sur moins de copies, la sortie simultanée est très importante. Si la date de sortie sur Picl vient quelques semaines après la salle, le film ne fonctionnera pas aussi bien parce que les gens auront déjà oublié le film. Pour les sorties en salle plus importantes, il y a toujours un buzz qui atteint les spectateurs. La sortie simultanée permet d'assurer une stratégie commune pour la sortie en salle et sur Picl.
De plus, les temps changent et les grandes plateformes poussent contre la chronologie traditionnelle et les fenêtres. Nous voulons que les cinémas soient prêts et qu'ils soient également présents en ligne.
Nous l'avons remarqué avec les derniers titres de Netflix, THE IRISHMAN et MARRIAGE STORY qui sont sortis avec une fenêtre exclusive en salle de seulement 2 semaines. En conséquence, les grandes chaînes ont boycotté ces titres et les films n'ont été projetés que dans les salles art et essai.
Aux Pays-Bas, ce sont surtout les cinémas art et essai qui ne craignent pas la concurrence en ligne. La remarque s'étend à Picl, ses utilisateurs sont tous des habitués du cinéma, des cinéphiles, qui regardent de nombreux films, également en ligne. Ce qui intéresse un exploitant, c'est que les gens voient des films, car ils croient en leur propre force : vous ne pouvez pas aller au cinéma, mais nous aimerions que vous voyiez ce film avec nous, nous savons que vous nous rendrez visite la prochaine fois. Après tout, les programmateurs des salles de cinéma sont les meilleurs pour en parler.
Quel a été l'impact de la fermeture des salles et du confinement pour Picl ? La plupart des cinémas l'ont mis en avant.
Picl était déjà très actif avant la crise et nous avons eu avec le confinement six fois plus de spectateurs par semaine que d'habitude, soit une hausse assez conséquente. Il était très important pour les cinémas de proposer un programme en ligne et de maintenir des recettes pendant cette période. Le nombre de cinémas utilisant Picl est passé de 22 à 36.
Comment la crise actuelle modifie-t-elle l'offre de films sur Picl ? Les films en salles au moment du confinement sont-ils passés sur Picl ?
Nous avons fait plusieurs sorties exclusives sur Picl avec de nouveaux titres. Les distributeurs ne voulaient pas retarder leurs sorties et les ont placés via les 36 salles affiliées. Des critiques sont parues dans les journaux et les cinémas ont fait la promotion de la sortie sur leurs réseaux.
Pour certains grands titres art et essai, nous avons eu une fenêtre exclusive de 3 à 4 mois. Par exemple, le distributeur des MISERABLES, sorti en salle le 20 février, ne voulait pas que le film passe en VOD immédiatement. Idem pour LA BELLE EPOQUE. Ce sont tous deux des titres de Paradiso qui auraient pu être mis sur toutes les plateformes. Mais Paradiso voulait maintenir l'exclusivité et soutenir les salles de cinéma. LES MISERABLES va maintenant revenir dans les salles, qui ouvrent prudemment.
Picl se portait de mieux en mieux avant la crise. Qu'est-ce que la crise va changer pour vous ?
Pour Picl comme pour les cinémas, la crise a entraîné une extension du public car nous avons touché un grand nombre de personnes. Je suis curieuse de savoir comment les choses vont se passer, surtout en ce qui concerne les fenêtres, les sorties simultanées, et de voir si tout va revenir à la normale.
C'est ce qui est le plus intéressant : comment les exploitants peuvent étendre l'offre cinématographique en explorant toutes les possibilités offertes par la programmation en ligne.
Pendant le confinement, nous avions les meilleurs programmes sur Picl : des présentations en ligne, des entretiens, des titres exclusifs de festivals, par exemple tous les titres du festival Movies that Matter (qui avait une édition en ligne).
Êtes-vous en contact avec d'autres plateformes similaires à Picl comme La Toile en France ?
Oui, nous sommes en contact avec de nombreuses initiatives similaires en Europe pour pouvoir nous comparer.
Nous sommes également à la recherche d'une version qui pourrait être utilisée dans d'autres territoires. Vous ne pouvez pas appliquer bêtement le modèle Picl dans d'autres pays, son arrivée doit être pensée avec beaucoup de considération pour toutes les parties impliquées. Picl est un modèle que nous pouvons intégrer et façonner, mais uniquement avec l'aide et le soutien de partenaires locaux. C'est le contraire de Netflix, qui vient perturber l'industrie. Notre objectif est de renforcer l'industrie cinématographique locale. Cela a d'autant plus de sens maintenant, avec la crise, car la limitation des capacités pendant un long moment, va affecter toute la chaîne.
Anke van Diejen et Noortje van de Sande
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Mai 2020
Adrian Preda
avec Jean-Baptiste Selliez
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