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Au Filmhouse d'Edimbourg

Luc Lavacherie

02/07/2019

À 46 ans, je pensais bêtement que le temps du « grand tour » et des échanges avec des correspondants européens était derrière moi. Erreur de vieillesse, si je puis dire, qui consiste à doucement se replier dans sa zone de confort et se contenter de ce qu’on sait faire, sans prendre le temps de considérer ce que les autres peuvent nous apporter. Je n’en étais pas encore arrivé à ce point de repli qu’un courriel d’Europa Cinemas exposant le principe de son programme Next/Change vint me sauver de cette pente dangereuse en me donnant l’opportunité de repartir sur les routes d’Europe à la rencontre de collègues exploitants de cinéma.

Au Filmhouse d'Edimbourg

Si mon choix s’est immédiatement porté sur FILMHOUSE, ce si fameux cinéma art et essai trônant sur Lothian Road à Édimbourg depuis plus de quarante ans, c’est pour trois raisons très simples.

La première remonte à plus dix ans alors que je participais à Venise à une formation réunissant des exploitants venus de toute l’Europe. Le collègue écossais fit à cette occasion une présentation si brillante et si stimulante de FILMHOUSE, que je décidai immédiatement de piller toutes les idées exposées et de les adapter à ma salle dès que je rentrerais en France : programmation, cycles, animations, ce talent que je leur enviais de toujours trouver une façon nouvelle de programmer des films anciens… Ainsi, bien avant que je me rende réellement à FILMHOUSE en janvier dernier dans le cadre de Next/Change, cela faisait déjà plus de dix ans que FILMHOUSE m’inspirait en secret.

La deuxième raison est encore plus simple : nous organisons au Gallia Théâtre Cinéma depuis maintenant plus de 14 ans une semaine du cinéma britannique, intitulée God Save The Screen ! C’est un moment fort de notre saison cinématographique qui recueille chaque année un grand succès, aussi bien auprès de notre public de cinéphiles français que des nombreux expats britanniques vivant dans notre région (La Nouvelle-Aquitaine). Me rendre à FILMHOUSE était pour moi l’occasion de créer des liens avec une salle de cinéma britannique très portée sur la culture européenne et qui organisait des semaines entières consacrées à des cinématographies étrangères, l’idée étant de proposer une « carte blanche » à FILMHOUSE qui choisirait deux films lors de la prochaine édition de God Save The Screen !

La troisième raison était de voir concrètement comment ce lieu s’organisait autour de ces nombreuses activités : comment l’équipe de programmation du cinéma travaillait et trouvait ses idées, rencontrer l’équipe du prestigieux Edinburgh International Film Festival qui partage les mêmes locaux, échanger avec les personnes qui s’occupent du secteur si stratégique de l’éducation en direction du jeune public… Bref, regarder, écouter et me taire, c’était ça mon grand projet, comme lorsqu’on regarde un film en quelque sorte….

Je dois dire que ces quelques jours intenses passés à FILMHOUSE ont dépassé mes attentes et que j’y ai appris beaucoup plus que prévu.

Rod White, le programmateur en chef de FILMHOUSE, m’a tout de suite accueilli comme un collègue et accordé un long et passionnant entretien pour me raconter l’histoire de FILM HOUSE et m’expliquer son travail de programmateur en particulier : les valeurs et principes mais aussi les réalités qui déterminent ses choix. Il m’a ensuite présenté à son équipe de programmateurs très jeunes et souvent venus d’horizons très divers (Grèce, Pays-Bas, France…). Assister à une réunion de programmation avec cette équipe a été pour moi un moment très instructif ; j’ai pu voir comment Rod savait écouter et s’appuyer avec confiance sur les compétences et l’expertise de chacun dans le domaine qui lui était confié.

La plupart des animations mises en place sont pensées collectivement et organisées en partenariat avec d’autres acteurs culturels de la ville d’Edimbourg : Universités, Musées (une rétrospective sur les Robots au cinéma accompagnait une exposition au National Museum of Scotland), Instituts de pays étrangers (une rétrospective des grands chefs-d’œuvre du cinéma finlandais se tenait durant ma présence), associations culturelles ou militantes (LGBT par exemple), des magazines (The Skinny, magazine culturel très connu en Ecosse, était invité à présenter une sélection de ses films favoris dans le cadre de la section House Guest…), ou encore de simples spectateurs bénévoles qui peuvent dans le cadre d’un espace dédié et supervisé par les programmateurs choisir eux-mêmes leur propre sélection de films…

Cet art très britannique de savoir déléguer et profiter des talents et de l’enthousiasme de chacun est assez fascinant pour un Français comme moi habitué à un mode de fonctionnement, disons, plus centralisé et concentré.

Une grande réactivité à l’actualité politique, sociale et culturelle caractérise également ce lieu très dynamique et permet d’aborder les questions d’actualités avec une plus grande profondeur de vue (ainsi de la très pertinente sélection de films intitulées SCREENING EUROPE the Brexit Edition proposée en partenariat avec le département de lettres de l’Université d’Edimbourg).

J’eus également le privilège de visiter les cabines des 3 salles dont dispose le lieu. Visite passionnante dans la mesure où FILMHOUSE a décidé de garder en état de marche tout le matériel historique du cinéma. Des projecteurs 16, 35 et même 70 mm (des projections exceptionnelles de Hatefull 8 de Tarantino ou encore Inherent Vice de P.T Anderson en 70 mm ont ainsi pu être proposées au public édimbourgeois au moment de leur sortie) côtoient des projecteurs numériques actuels dernier cri. Les projectionnistes habitués à travailler dans le cadre techniquement très exigeant du Edinburgh International Film Festival sont tous de très grands professionnels.

J’ai pu également échanger longuement avec Yvonne Gordon et Chloé Berger son assistante française qui s’occupent du secteur éducation et jeune public qui a valu à FILMHOUSE une reconnaissance internationale et un Europa Cinema Best Young Audience Award.

J’ai enfin assisté à plusieurs séances de cinéma et notamment à THE FAVOURITE de Yorgos Lanthimos qui sortait au Royaume-Uni la semaine de ma venue et que j’ai découvert dans la magnifique grande salle de FILMHOUSE. Ou encore la séance du magnifique film documentaire ISLAND OF THE HUNGRY GHOSTS qui fut suivie par un passionnant Q&A en présence de la réalisatrice australienne Gabrielle Brady et animé par Tamara Van Strijhem, Belge vivant en Ecosse depuis des années et travaillant comme directrice exécutive pour le Festival Take One Action…

Bref, le fourmillement fut perpétuel et ces quelques jours n’ont pas suffi à faire le tour de cette merveilleuse ruche qu’est FILMHOUSE.

La réalité de ce lieu à la façade classique cachant un café-bar convivial et chaleureux, très couru par les habitants d’Edimbourg, est encore plus belle et intéressante que ce que j’en avais rêvé il y a 10 ans !

Luc Lavacherie, Gallia Théâtre Cinéma à Saintes

Janvier 2019

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Filmhouse

Gallia

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