Fermés mais ouverts !
Claude-Eric Poiroux
Malgré la fermeture inédite de l’ensemble des salles, les exploitants d’Europa Cinemas ne se sont pas résignés et ont multiplié les initiatives avec un seul objectif : maintenir la relation avec le public.
Les salles n’ont pas attendu la pandémie pour maîtriser parfaitement les réseaux sociaux et le confinement a été propice à l’implication des spectateurs. Plusieurs salles ont organisé des concours de courts-métrages comme « #shortitout » au Watershed de Bristol, « Filmer le confinement » des Cinéastes au Mans, « Courts intérieurs » d’Est-Ensemble en Ile-de-France. Plusieurs sites ont mis en ligne des documentaires ou des films courts comme le Numax de St Jacques de Compostelle, la Cineteca de Bologne, le Visionario d’Udine, le Greek Film Archive d’Athènes ou Cines Renoir en Espagne ainsi que des enregistrements audio/vidéo d’événements qui se sont déroulés dans la salle. Le LAB111 d’Amsterdam propose aux spectateurs de voter pour les films qu’ils ont toujours voulu voir sur grand écran afin de préparer la programmation de réouverture.
Les actions dédiées au Jeune Public n’ont pas été abandonnées pendant le confinement. De nombreuses salles recourent aux réseaux sociaux pour proposer des jeux, des concours et toutes sortes d’activités que les enfants peuvent faire chez eux. Certains cinémas maintiennent des séances scolaires qui ont lieu en ligne comme le Nuovo Eden de Brescia, d’autres partagent leur matériel pédagogique comme Cineciutat à Palma de Majorque.
Évidemment, de nombreuses salles ont collaboré avec des plateformes associées de très près aux cinémas, comme Picl aux Pays-Bas, La Toile en France, Nettkino en Norvège, Curzon Artificial Eye au Royaume-Uni, Filmin en Espagne ou la toute récente MioCinema en Italie. Europa Cinemas a d’ailleurs conclu un accord avec MUBI afin de donner à nos cinémas la possibilité d’offrir gratuitement trois mois d'abonnement à leur public pendant la fermeture.
De toute évidence nos salles ont plusieurs points communs avec ces plateformes indépendantes à commencer par une programmation éditorialisée choisie sur des critères de qualité et de diversité, loin de la profusion/confusion des plateformes mainstream. Et parfois même des actions promotionnelles encouragent le public à se déplacer en salles avec des places offertes ou des tarifs réduits (Mubi Go en Grande-Bretagne).
Certains exploitants ont été plus loin en lançant de véritables salles virtuelles et des séances e-cinema. A l’aide parfois de la géolocalisation et grâce à une remarquable coopération entre cinémas, plateformes et distributeurs, les spectateurs gardent ainsi une relation de confiance avec leurs salles favorites. Les séances à distance ont lieu à des horaires fixes, souvent accompagnées de présentations et de débats. C’est un modèle très prometteur, comme en témoigne le succès de La Vingt-Cinquième Heure qui a attiré plus de 25 000 spectateurs via le Luminor à Paris, l’Arvor à Rennes, le Méliès à Montreuil et plus d'une centaine de salles françaises. Plusieurs distributeurs, comme Shellac en France, ont sorti des films en ligne en s’appuyant sur des salles du réseau. On retrouve des modèles aussi innovants en Italie avec #IorestoinSala, en République tchèque avec Moje kino Live & Kino Aero, en Hongrie avec Tavmozi, en Slovaquie avec Kino Lumiere Doma, en Suède avec Draken Films, en Espagne avec la sala virtual de cine d’A Contracorriente Films ou encore en Pologne avec Kino Pod Baranami et cette semaine le lancement d’une salle virtuelle commune à plusieurs villes du pays.
Les cinémas indépendants restent perçus comme des lieux culturels très identifiés au cœur de nos villes et on a vu plusieurs initiatives de crowdfunding, d’achat de vouchers, venant de spectateurs qui viennent en aide à des salles en difficulté. Lieux familiers ou de proximité, les salles font aussi preuve de solidarité comme les 400 Coups à Angers qui ont ouvert leur hall à des maraîchers locaux. Des navets en circuits courts !
Des salles virtuelles tchèques ou françaises aux nombreux drive-ins baltes ou allemands, en passant par les débats en ligne en Italie, les webinars à Valencia, la Méliès Battle à St Etienne, les concours de courts-métrages et les campagnes d’éducation à l’image, les cinémas du réseau ont envoyé des messages forts à leurs spectateurs qui ont étonnamment bien répondu à leurs propositions. Seules ou à plusieurs, les salles se sont réinventées, elles ont tenté de nouvelles aventures, engagé de nouveaux partenariats, surmonté l’obstacle inouï de la fermeture et ainsi jeté les bases d’une reprise ardemment attendue par toute l’industrie européenne. Soulignons d’ailleurs la contribution financière exceptionnelle de Creative Europe aux exploitants du réseau pour soutenir leur activité en cette période de difficultés.
Cette crise a fait prendre conscience aux exploitants qu’ils avaient des ressources et des alliés. Les initiatives menées pendant la fermeture ont développé des synergies entre indépendants, salles, distributeurs, plateformes… Europa Cinemas va d’ailleurs en faire le suivi pour permettre aux exploitants d‘expliquer leurs démarches et de chiffrer leurs premiers résultats. Si les salles envisagent désormais la réouverture, les contraintes sanitaires pèseront encore longtemps sur leurs modes de fonctionnement. Les films et les artistes seront au rendez-vous, le vrai enjeu demeure le public. C’est grâce à toutes ces initiatives destinées à se prolonger et aux collaborations inédites entre les différents acteurs de la diffusion que nous parviendrons, unis, à dépasser nos limites pour nourrir une cinéphilie ouverte à tous, surtout les plus jeunes, et à faire revenir les spectateurs ensemble dans les salles de cinéma.
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Le Film français - 22 mai 2020
Claude-Eric Poiroux, Directeur Général d’Europa Cinemas
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Image: Votiv Kino / Illustration: Daniel Triendl
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