Entretien avec Frédéric Cornet
Cinéma Galeries, Bruxelles, Belgique
A travers une série d’entretiens avec les exploitants membres de son comité de validation, Europa Cinemas réalise un état des lieux de l’exploitation indépendante en Europe en ces temps de crise.
1 - Tout d'abord, comment allez-vous?
Je vais bien mieux qu'au début du confinement. Il a fallu un peu de temps pour changer de rythme. Nous étions au milieu d'un festival quand nous avons dû fermer et nous étions donc tous très occupés avec un rythme de travail soutenu. C'était très frustrant de voir les efforts de plusieurs mois réduits à néant.
2 - Comment gérez-vous cette situation particulière d’un point de vue professionnel ? Actuellement, êtes-vous au travail, vous-même et vos collègues, ou sans activité ?
L'équipe du cinéma s'adapte aux mesures qui ont été prises par le gouvernement. Une partie de l'équipe est mise au chômage temporaire, une autre partie travaille à mi-temps, notamment le chargé de communication et la responsable technique ainsi que la responsable administrative, afin de faire le suivi.
3 - Quels projets vous ont paru intéressants pour maintenir une activité et lesquels avez-vous pu mettre en place ?
Pour garder le lien avec notre communauté, nous avons rapidement mis en place une newsletter de films à regarder à la maison. Nous avons suivi l'initiative d'Europa Cinemas en offrant des abonnements Mubi et proposons aussi des films à rattraper en VOD et en accès gratuit. Les spectateurs peuvent ainsi regarder en VOD des films présentés chez nous et/ou compléter des programmes de festivals que nous avions proposés. Par exemple, nous avons proposé de (re)voir des films de Tsai Ming-liang, auquel nous avions consacré une rétrospective et une exposition et dont nous avons proposé des courts métrages en accès libre. Le plus important, pour nous, est de maintenir le lien avec les spectateurs en attendant de les retrouver en salle.
Nous avons aussi maintenu à la date prévue, sur notre site, des projections qui étaient prévues en salle mais en accès libre. Le réalisateur du film QUEERCORE : HOW TO PUNK A REVOLUTION a enregistré un mot pour les spectateurs. Nous avons eu 1345 spectateurs pour ce film. Voici le lien vers l'événement: https://www.facebook.com/events/2617355691832374/
4 - Pensez-vous que ces nouvelles activités pourraient perdurer après la période de la pandémie ?
Notre priorité est de retrouver les spectateurs dans nos salles. Pour le film QUEERCORE, nous aurions vendu des places au cinéma, en temps normal. Si nous mettons les films en accès libre, il est possible que les gens préfèrent le regarder chez eux et ne pas venir au cinéma. De plus, le réalisateur devait venir présenter le film en salle. Nous privilégions bien sûr la rencontre en salle plutôt que dématérialisée.
5 - Quelle est, en Belgique, la réponse de l’Etat et des institutions publiques locales en faveur des salles de cinéma ? Des soutiens financiers existent-ils ou sont-ils en train d’être étudiés ?
En termes de soutien, la région bruxelloise a convenu d'une aide de 4000 euros pour les entreprises et commerces qui ont dû fermer (pour toute la période de fermeture). La fédération n'a pas donné de réponse claire sur l'aide qui sera donnée spécifiquement au secteur audiovisuel et encore moins aux salles de cinéma. Il y a un budget de plus de 8 millions d'euros qui servira à la culture.
6 - Quelles sont vos plus grandes inquiétudes pour les mois à venir ? Comment voyez-vous la reprise et envisagez-vous une campagne, un événement spécial? Dans votre rapport aux spectateurs, avez-vous des craintes ou au contraire voyez-vous des raisons d’être optimiste ? Comment voyez-vous évoluer les liens avec votre public ?
Pour le moment, il est difficile de dire comment les spectateurs vont réagir au déconfinement. De manière générale, l'ensemble des cinémas Europa Cinemas présents en Fédération Wallonie-Bruxelles sont assez réticents à une réouverture trop rapide. Si nous devons ouvrir avec une limitation à 30% ou 50% de nos salles afin de limiter la propagation du virus, plusieurs salles ne s'en sortiront pas. Tout dépend de la capacité de la salle. A Galeries, nos salles sont de 212 et 183 places. Nous pourrions rouvrir sans trop de souci car nous avons rarement plus de 50% d’occupation. Si nous prenons le cinéma Aventure avec des salles plus petites, une ouverture à 30 ou 50% serait une vraie perte. Le Palace pourrait utiliser deux salles sur 4 d'après les infos que j'ai de son programmateur Nicolas Gilson. Puis il y aura les autres contraintes de port de masque, il nous faudra du personnel supplémentaire pour en contrôler le port ainsi que la répartition des spectateurs dans la salle. De plus, comment peut-on imaginer que les spectateurs auront le désir de voir un film avec un masque en permanence ? La phobie des espaces clos en période de covid19 risque de jouer beaucoup sur notre fréquentation. Une bonne part de notre public est constituée de personnes âgées qui sont les plus à risque.
Il semble que les multiplexes, Kinepolis et UGC, sont prêts pour une réouverture, même avec une capacité limitée. Du point de vue des indépendants, nous sommes partagés sur ce que nous devons faire : suivre la date de réouverture des multiplexes pour ne pas donner un message étrange aux spectateurs (« les multiplexes sont plus safe que les indépendants… ») ou attendre une période plus clémente.
_________
Mai 2020
Jean-Baptiste Selliez
_________