Au Queen's Film Theatre à Belfast
Josefine Kraft
J’ai trouvé très intéressant de non seulement mobiliser les jeunes dans le processus de programmation mais aussi de comprendre les manières dont ils veulent encadrer ces contenus : souhaitent-ils avoir une discussion à l’issue de la projection, veulent-ils enregistrer un podcast sur le film ou peut-être créer des supports originaux à partager sur les réseaux sociaux pour inspirer d’autres jeunes et les inciter à apprécier les films ?
A mon arrivée à Belfast par une pluvieuse nuit d’octobre, je débordais d’énergie en pensant à l’aventure qu’allait être cet échange. Au printemps, quelques mois plus tôt, quand j’ai reçu l’email détaillant le principe du programme NEXT/CHANGE, j’ai tout de suite été très intéressée et ai commencé à me documenter sur plusieurs cinémas répertoriés sur le site d’Europa Cinemas afin de choisir judicieusement l’établissement qui serait mon partenaire. Faire ce choix fut très difficile car tous les cinémas offrent un point de vue unique sur l’exploitation, mais pourtant le Queen’s Film Theatre a su piquer ma curiosité plus que tout autre. Ma visite prévue en Octobre allait me permettre de faire d’une pierre deux coups puisque le festival Cinemagic a lieu à ce moment-là. J’allais pouvoir découvrir une autre salle du réseau EC et les coulisses des projections du Cinemagic Film Festival: aucune hésitation à avoir et me voici donc devant ce beau petit bâtiment qui se fond directement dans la rue.
Le cinéma bénéficie d’une très belle situation, il partage son espace d’accueil avec le théâtre Brian Fiel et le centre de recherches de ce dernier. Le lieu est aussi utilisé pour des conférences destinées aux étudiants du Queen’s University qui n’est pas loin. Il est possible de s’installer confortablement dans un fauteuil en cuir et d’y passer un moment.
Gabrielle Smyth, chef d’équipe ultra accueillante m’a invité à entrer, offert une tasse de thé, une rapide visite des lieux et un aperçu des 51 années d’existence du QFT. Elle m’a aussi expliqué comment fonctionne la gestion du cinéma et c’est à ce moment-là que la première grosse différence entre nos institutions est apparue. Au Broadway Film Theatre, nous employons des gens qui font marcher le cinéma en assurant les projections, la vente et le contrôle des tickets et qui en plus de cela, s’occupent des tâches en arrière scène. Le QFT de son côté s’organise autour d’une distinction plus claire entre les personnes qui s’occupent de la programmation, des stratégies de développement du public etc et celles qui sont en charge des postes liés au fonctionnement pratique du cinéma au quotidien. Les membres du personnel qui travaillent dans les coulisses du cinéma sont beaucoup plus nombreux que chez nous et la hiérarchie est plus nettement définie même si nous avons d’avantage d’employés dans l’équipe d’accueil et plus de salles. Tout cela m’a donné matière à réflexion sur la gestion d’équipe et les changements que nous prévoyons au cinéma au niveau de l’organisation des tâches. Bien que je ne puisse pas imaginer ne plus m’investir dans la vie pratique du cinéma, nous allons mettre en place certaines routines inspirés de Belfast.
LUMI, un nouveau programme pour les jeunes de moins de 30 ans
Samedi matin, j’ai rencontré Aaron Guthrie, le coordinateur Jeune Public, et Patricia Donohue, la directrice technique. Aaron a évoqué son expérience avec la programmation Jeune Public et m’a parlé de LUMI. LUMI est le nom de la nouvelle offre du QFT pour les moins de 30 ans. Je me suis immiscée dans une réunion de programmation du LUMI : au menu de cette offre, des conversations et rencontres auxquelles des jeunes sont conviés. Ils s’inscrivent à une activité qui les amène à programmer des films, créer du contenu, parler des films, et à être impliqués dans l’exploitation du cinéma. J’ai trouvé très intéressant de non seulement mobiliser les jeunes dans le processus de programmation mais aussi de comprendre les manières dont ils veulent encadrer ces contenus : souhaitent-ils avoir une discussion à l’issue de la projection, veulent-ils enregistrer un podcast sur le film ou peut-être créer des supports originaux à partager sur les réseaux sociaux pour inspirer d’autres jeunes et les inciter à apprécier les films ? LUMI à QFT c’est un peu “Tiens, le monde t’appartient”: comment ne pas être totalement galvanisé à cette perspective et ne pas s’y inscrire pour créer de géniaux événements cinématographiques pour et avec le Jeune Public.
J’ai accompagné Patricia dans la cabine de projection et on a parlé des atouts et des inconvénients des transferts de fichiers numériques, des logiciels à utiliser et c’était agréable de se rendre compte que nous sommes tous confrontés aux mêmes types de choses un peu triviales liées à la projection.
Séances inclusives
Ensuite, j’ai rencontré Joan Parsons la directrice du QFT avec laquelle j’ai parlé passionnément de l’exploitation de films, des différents métiers que l’on peut exercer dans ce domaine et dans la programmation et nous avons évoqué les particularités de chaque cinéma tout en mesurant notre chance d’être indépendantes. Elle m’a également fourni des informations supplémentaires sur les programmations spéciales. Je souhaite me lancer dans l’organisation d’un panel plus large de séances inclusives pour les personnes aux besoins spécifiques ce qui nous permettra de nous positionner comme un établissement qui fait des efforts dans ce sens et progresse. Selon moi, faire cela permettra de renforcer notre identité. Il s’avère que nous faisons déjà beaucoup (ce qui est positif) mais que parfois un changement de point de vue est juste ce qu’il faut. Le QFT organise des projections pour les personnes qui souffrent de sénilité et le fait d’en parler avec Joan m’a permis de me rendre compte qu’en adaptant quelques réglages de lumières et en modifiant un peu notre approche, nos séances déjà existantes pour les personnes âgées, nous pouvons toucher encore une autre tranche de cinéphiles et leur offrir une expérience adaptée à leurs besoins.
Impliquer les artistes locaux dans les ateliers créatifs pour enfants
Pour la suite de mon programme, je décidais d’être observatrice silencieuse, parfait posture pour un dimanche automnal, lors d’ateliers organisés aux jardins botaniques du musée voisin. J’ai assisté à l’atelier “Créer ton propre folioscope” avec Francesca Kennedy et “Créer ton affiche de film” avec Trisha McNally (toutes les deux ont été très accueillantes tout comme les enfants qui participaient). Un peu plus tard, j’ai pu discuter un moment avec Joel Simon qui est le créateur et l’un des animateurs de Can-do-Academy à Belfast sur la façon dont il implique les artistes locaux dans les ateliers créatifs pour les enfants. De notre côté, nous travaillons déjà sur notre programmation pour 2020 avec des étudiants en design intermedia de l’Université de Sciences Appliquée de Trêves d’une part pour des ateliers, mais aussi, en nous inspirant du modèle d’Aaron, pour les inviter à exposer dans nos locaux, à montrer leurs travaux sur grand écran et en nous rendant plus accessible pour des collaborations.
Pour finir en beauté lundi, j’ai été ravie de pouvoir discuter longuement avec les deux Michael du QFT. L’un d’eux, Michael Delaney est assistant de développement du public, il a partagé son ressenti sur l’approche du cinéma avec les réseaux sociaux. Le deuxième, Michael Staley est programmateur et m’a parlé de la façon dont ils construisent leur programme, des challenges qu’ils rencontrent en exploitant deux écrans dans une ville d’environ 280 000 habitants et doté de 7 autres cinémas (en comparaison nous avons 2 cinémas et demi pour 110 000 habitants). Nous étions tous deux un peu surpris de constater la différence entre les coûts des droits que nous payons sur les films et le taux dégressif en fonction des semaines qui passent. Au-delà de tout ça, nous nous sommes découvert de nombreux points en commun quand nous avons discuté de nos attentes pour les futures sorties et des films que nous avons déjà diffusé dans nos salles.
J’ai quitté Belfast la valise pleine d’idées stimulantes et de résolutions pour notre cinéma, prête à affronter les nouveaux challenges en 2020 et à mettre en œuvre des projets comme ceux que je viens de décrire. J’espère que ce programme d’échange va permettre de mettre en relation des gens “du cinéma” un peu partout en Europe pour resserrer les liens de la communauté européenne du cinéma surtout sous la menace du Brexit.
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Josefine Kraft, Broadway Filmtheatre
Novembre 2019
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