Projections et art. Au Tyneside Cinema à Newcastle
Aleksandra Jeglińska & Michał Matuszewski
Découvrir le Tyneside et la manière avec laquelle Adam et Tess s'engagent avec les artistes et le public a été instructif à bien des égards. Les relations intimes et personnelles qu'ils cultivent dans leur cinéma et sur la scène plus large de l'art et essai à Newcastle, a été pour nous un merveilleux cas d'étude et une inspiration que nous chercherons à mettre en pratique à Varsovie en 2020.
Le Tyneside Cinema est l'une des meilleures salles de cinéma d'art et d'essai d'Europe, avec une longue histoire, une excellente programmation et une étroite relation avec son public. Pouvoir découvrir les coulisses de cette salle permettrait à n’importe quel exploitant de tirer de précieux enseignements. Cela aura certainement été notre cas, même si notre objectif pour cet échange était différent.
Nous sommes venus à Newcastle en nous concentrant sur une seule des activités de Tyneside, le programme "Projections", programme d'arts visuels mené par Adam Pugh et Tess Denman-Cleaver. "Projections" ambitionne d’imaginer le cinéma du futur en collaborant avec de nombreux artistes. Il propose des projections régulières, divers événements, performances et concerts, grâce à des appels à projet lancés aux artistes.
De notre côté, le cinéma du Centre d'art contemporain du château U-jazdowski propose une programmation cinéma menée par une institution d’art contemporain. Nous traitons ainsi de questions très similaires - l'équilibre entre les arts visuels contemporains et le cinéma - mais nous avons des perspectives et des expériences différentes. Partager ces points de vue sur l'art et le cinéma sous différents angles pédagogiques a été extrêmement précieux.
Carte blanche aux artistes visuels
Nous avons programmé notre visite de manière à pouvoir participer à deux séances de "Projections" proposées par des artistes visuels. La première était celle de l'artiste James Richards, nominé pour le Turner Prize, dont le film UNCONTROLLABLE UNIVERSE a été réalisé dans le cadre des Projections Commissions en 2019. Il a présenté un programme de films réalisés par des amis et des artistes proches de son propre travail. La projection comprenait des travaux vidéo et 16mm de Sharon Lockhart et Leslie Thornton, ainsi que l'œuvre antérieure de James Richards, NOT BLACKING OUT JUST TURNING THE LIGHTS OFF.
Ce fut un exemple inspirant quant à la construction d'une relation entre un artiste et un public. Mais aussi une réflexion générale sur la cohérence du programme, un défi notable dans le cadre d'une collaboration avec divers artistes et des appels à projets ouverts. Inviter un artiste visuel à organiser un programme de cinéma offre bien souvent de riches expériences. La programmation des "Projections" est un exemple particulièrement intéressant de bonne pratique curatoriale. Organiser un programme ou une saison de cinéma ne consiste pas seulement à mettre les bons films dans le bon ordre, dans le bon contexte et au bon moment, mais avant tout à collaborer avec des artistes.
Nos hôtes nous ont fait découvrir leur réseau : le Side Cinema avec sa galerie Amber adjacente, ainsi que le cinéma Star and Shadows, qui nous a permis de dresser la carte de la communauté cinématographique de Newcastle et de voir comment elle coopère. Ce que nous avons trouvé particulièrement intéressant, c'est leur approche qui va à l'encontre du big data - la tendance aux grands chiffres que nous observons au niveau international et national. De notre point de vue, il y a ici une façon innovante d'attirer de nouveaux cinéphiles et amateurs d'art, ainsi que de construire une communauté active et engagée autour de ces lieux.
Créer une communauté artistique et cinématographique locale
Le deuxième événement de "Projections" auquel nous avons assisté était le programme Alia Syed, un autre exemple d'artiste se prêtant au rôle de curateur. Cependant, dans ce cas, l'artiste a choisi de programmer un ensemble de ses propres films. Alia Syed est une artiste singulière et expressive qui retrace, via l'image en mouvement, l'expérience de la diaspora. Elle réalise ses premiers films à la London Filmmakers' Cooperative dans les années 1980. Son travail s’écarte ensuite des préoccupations structuralistes de beaucoup de ses pairs pour se tourner vers des questions liées à l'identité, à la représentation et aux héritages du colonialisme. Inspirés par son éducation métisse à Glasgow, ses films, tour à tour politiques et ludiques, tracent les lignes qui relient et encadrent ces divisions. Ils dénotent toujours d’un profond intérêt pour les possibilités et les effets du langage. Ses films ont été présentés en partenariat avec le Centre Baltique d'art contemporain, pour accompagner l'exposition de John Akomfrah : Ballasts of Memory.
Dans notre cinéma U-jazdowski à Varsovie, nous coopérons souvent avec des curateurs et des commissaires d’expositions d'art contemporain, mais généralement liés à notre propre institution. Notre équipe prépare actuellement une grande exposition qui ambitionne de tisser des liens entre le cinéma et l'espace de la galerie. Il était donc très opportun pour nous de comprendre comment une telle coopération pouvait fonctionner au niveau inter-institutionnel et comment se lier à la communauté artistique et cinématographique locale. Nous avons également eu la chance de visiter le Centre BALTIC d'art contemporain, de découvrir l'exposition de John Akomfrah et de rencontrer son commissaire avec qui nous avons eu une discussion productive sur les enjeux de nos espaces de galerie respectifs.
Projections.eu
Le second objectif de notre visite était d'établir une relation à long terme et de lancer un projet que nous aimerions développer ensemble. En combinant nos expériences communes dans les domaines des arts visuels et du cinéma, nous développons actuellement un programme qui permettrait de relier l'art et le cinéma dans les salles d'art et d'essai à travers l'Europe sous le titre provisoire « projections.eu ». Pendant notre séjour à Newcastle, nous avons finalisé ce que nous avions commencé lors de la visite de nos partenaires à Varsovie début octobre. Les premiers résultats de cet échange d'idées ont été présentés par Adam lors de la session "Open Slots" de la conférence du réseau Europa Cinemas à Lisbonne en novembre 2019.
Aujourd'hui, nous sommes impatients de prolonger cette première phase de notre collaboration et de commencer à concrétiser les idées du projet dans la pratique. La présentation d'Adam à la conférence a suscité un certain intérêt de la part d'autres cinémas d'art et d'essai en Europe, tandis que nous avons travaillé à l'expansion du projet au niveau national. C'est une nouvelle voie passionnante que nous allons explorer en 2020, et rien de tout cela ne serait arrivé sans le soutien du programme Next/Change.
__
Aleksandra Jeglińska & Michał Matuszewski, U-jazdowski Kino (Varsovie)
Décembre 2019
Credits photos: Tyneside Cinema
__