Entretien avec Erika Borsos
Budapest Film, Hongrie
A travers une série d’entretiens avec les exploitants membres de son comité de validation, Europa Cinemas réalise un état des lieux de l’exploitation indépendante en Europe en ces temps de crise.
1 – Comment allez-vous ?
Il est difficile de décrire ce que je ressens dans cette situation. J'ai l'impression de regarder un film catastrophe ou de SF en attendant de me réveiller... Mais la plupart du temps, l'optimisme l'emporte. Faire du cinéma à la maison... est un peu paradoxal.
2 - Comment gérez-vous cette situation particulière d’un point de vue professionnel ? Actuellement, êtes-vous au travail, vous-même et vos collègues, ou sans activité ?
Malheureusement, nous vivons dans une période d'incertitude. Nous ne savons pas combien de temps cela durera ni quand cela se terminera, il est donc difficile de gérer nos activités. Nous regardons les activités des cinémas à travers l'Europe, recherchons des idées et, bien sûr, nous réfléchissons à la façon dont nous pouvons rendre cette période utile. Nous travaillons, mais pas tous. Budapest Film est une entreprise relativement grande avec 100 employés, notamment des collègues plus âgés qui restent strictement à la maison. Mais certains d’entre nous vont au cinéma et au bureau pour faire des travaux, peindre et nettoyer. De mon côté, je m’occupe de la comptabilité et réfléchis aux nouvelles propositions que nous pourrions mettre en œuvre.
3 - Quels projets vous ont paru intéressants pour maintenir une activité et lesquels avez-vous pu mettre en place ?
Nous découvrons qu’une bonne partie de notre travail peut être faite en ligne et que nous pourrions continuer ainsi même après la pandémie. Avant les restrictions, nous envisagions d’exploiter un cinéma en plein air, ce qui ne peut plus être le cas. D'autre part, notre innovation la plus importante est un service appelé Távmozi / Telecinema, qui sera disponible à partir du 21 avril. Il ressemble à une plate-forme VOD mais s’apparente plutôt à un cinéma virtuel (film.artmozi.hu). Nous proposons des films art et essai et de divertissement de qualité à nos téléspectateurs, et l’offre sera étendue avec de nouvelles sorties et des festivals. Quand il attendra le film, le spectateur entrera dans un hall de cinéma (un espace de discussion), où le personnel de la salle sera là, comme dans la réalité. Le film ne pourra pas être mis sur pause ni accéléré, ce sera vraiment une projection. Nous attendons avec impatience d’en voir les résultats.
4 - Pensez-vous que ces nouvelles activités pourraient perdurer après la période de la pandémie ?
Avec les billets vendus du Telecinema, nous pouvons directement aider à la survie des salles de Budapest Film et aider financièrement les employés de la société pendant cette période d’inactivité. Nous considérons cette plate-forme en ligne comme une option temporaire, nous n'avons pas l'intention de la poursuivre à l'avenir si nous pouvons rouvrir les cinémas. Bien sûr, nous aurons acquis une nouvelle expérience et ce service pourra donc être redémarré à tout moment.
5 - Quelle est la réponse de l’Etat hongrois et des institutions publiques locales en faveur des salles de cinéma ? Des soutiens financiers existent-ils ou sont-ils en train d’être étudiés ?
Nous travaillons avec l’association hongroise des salles art et essai pour trouver quelle institution publique ou quels fonds sont susceptibles de nous aider et quelles sont les possibilités d’aider l’industrie. Nous avons des idées et le Fonds national pour la culture est réceptif, mais il y a des difficultés pour leur mise en œuvre. Au jour d’aujourd’hui, le gouvernement a mis en place un programme de remboursement pour les institutions culturelles, ce qui est d'une grande aide, mais malheureusement ce n'est pas une solution qui permette de survivre sur le long terme. Les cinémas n'ont pas encore reçu de soutien spécifique.
6 - Quelles sont vos plus grandes inquiétudes pour les mois à venir ? Comment voyez-vous la reprise et envisagez-vous une campagne, un événement spécial? Dans votre relation aux spectateurs, avez-vous des craintes ou au contraire voyez-vous des raisons d’être optimiste ?
Il est difficile de dire quoi que ce soit dans une situation aussi incertaine. Le plus grand défi est de maintenir l'entreprise en vie et d'éviter que des collègues se retrouvent sans travail et sans salaire. S'il n'y a pas de changement, pas de soutien, nous ne tiendrons ainsi que jusqu'à la fin de l'été. Cependant, tout dépend du moment où nous pourrons rouvrir nos salles de cinéma. Si la réouverture a lieu pendant l’été, nous essaierons de recréer la magie du cinéma en plein air. Il est difficile de prédire si les gens seront heureux de venir au cinéma après la fin des restrictions. Mais dans une vision optimiste des choses, nous voyons que tout le monde meurt d’envie d’accéder à la culture et au grand écran, et qu’en suivant les réglementations, nous pourrons satisfaire un large public!
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Avril 2020
Jean-Baptiste Selliez
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