Fyrisbiografen, Prix à l’Innovation Europa Cinemas 2018
Entretien
Le Fyrisbiografen, cinéma de 2 écrans membre d’Europa Cinemas, à Uppsala en Suède, est le premier lauréat du Prix à l’Innovation Europa Cinemas, mis en place en 2018 avec le concours d’Europe Créative. Entretien de fond avec Olle Agebro, qui dirige la salle et revient pour nous sur ce projet d’amélioration de l’expérience des spectateurs grâce aux données.
1 - Pouvez-vous présenter rapidement le cinéma et sa place dans la ville d'Uppsala?
Fyrisbiografen est le plus ancien cinéma en activité à Uppsala et le seul qui diffuse des films art et essai. C’est également un lieu important pour les festivals de cinéma, les événements spéciaux et l’accueil des réalisateurs. Uppsala est une ville de 150 000 habitants, caractérisée pars son université, une grande partie de notre public étant constituée d’étudiants. Fyrisbiografen est géré par une organisation à but non lucratif et nos bénévoles s'occupent de la plupart des séances.
J'y ai débuté comme bénévole en 2012 et en suis devenu le président il y a trois ans. Nous avons une organisation horizontale et les bénévoles, les employés, tout comme les membres du conseil d'administration, peuvent participer à des tâches telles que la modération des débats, les projections ou la réalisation de nos podcasts.
2 – Comment en êtes vous venus à revoir complètement vos méthodes de travail?
Quelques années après l’acquisition du Fyrisbiografen par notre organisation, nous avons constaté que les entrées n’augmentaient plus. Nous avons commencé à examiner nos données et sollicité un financement auprès du Swedish Film Institute afin de mener à bien un projet visant, notamment, à accroître notre audience. Au cours de ce projet, nous avons eu la possibilité d’exploiter nos données, d'interviewer nos spectateurs et des spectateurs potentiels et de déterminer comment nous pourrions améliorer l'expérience de notre public.
3 - Quels étaient les partenaires impliqués et leur rôle?
Le Swedish Film Institute nous a apporté un soutien qui nous a permis de travailler avec l’agence de conseil Cybercom. Cybercom nous a aidés dans la recherche de données, les entretiens avec le public, les ateliers, les idées et la stratégie.
4 - Les données recueillies auprès de vos spectateurs sont au cœur de votre action. Pourriez-vous expliquer comment ces données sont utilisées pour adapter vos activités actuelles?
Le citoyen d’Uppsala - et le citoyen suédois de façon générale - se rend au cinéma 1,7 fois par an, tandis qu’il regarde près de 100 films à la télévision, en VOD et sur d'autres plateformes. Pourtant, nombreux sont nos spectateurs qui viennent plusieurs fois par mois. Une question clé était de savoir pourquoi nous comptons beaucoup de spectateurs qui ne sont venus qu’une fois dans l’année. Nos entretiens suggéraient que les spectateurs trouvaient simplement pratique de rester à la maison pour regarder Netflix. Nous avons d’abord été affligés par ce résultat, mais en y réfléchissant, cela signifiait que notre public n’avait pas de raisons sérieuses de ne pas aller au cinéma - si nous pouvions améliorer l’expérience cinéma et supprimer les freins qui rendent la salle moins ”pratique” que Netflix, nous devions pouvoir faire venir les spectateurs. Différents types de données ont été utilisées. Les données du web nous ont aidés à améliorer notre système de réservation de billets en ligne; les suggestions émises lors des entretiens ont guidé notre programmation; les données recueillies sur la vente des billets ont déterminé notre marketing numérique.
5 - Vous parlez d'actions "itératives". Qu’entendez-vous par là?
L'approche itérative consiste vraiment à réaliser que nous pouvons toujours améliorer chaque aspect de l'expérience cinématographique. En essayant de collecter des données sur tout, nous en apprenons beaucoup sur l’état actuel de notre cinéma, mais aussi sur la façon dont nous nous améliorons lorsque nous apportons des changements - ou si ce que nous pensions être une amélioration a en réalité détérioré l’expérience du public. Par exemple, lors de la conception d'annonces en ligne, nous essayons toujours différentes possibilités, différentes images, vidéos... pour savoir quelle annonce occasionne les meilleures ventes de billets. La semaine suivante, nous mettons en place de nouvelles variantes basées sur ce que nous avons appris. Ce sont les outils numériques qui nous permettent ainsi de mesurer notre réussite, mais je suis convaincu que nous pouvons également appliquer cet état d'esprit à des actions non numériques.
6 - Comment avez-vous impliqué votre équipe dans vos nouvelles méthodes de travail?
Fyrisbiografen est exploité par nos bénévoles et ce succès n’aurait pas été possible sans leur amour du film et leur engagement. Nos bénévoles ont participé aux ateliers et à la recherche de nouvelles idées pendant le projet, ils rencontrent nos spectateurs au quotidien et comprennent très bien leurs besoins. Je reçois de bonnes idées, des suggestions pour améliorer notre cinéma chaque semaine.
7 - Pouvez-vous nous donner des exemples d'actions mises en place suite à cette refonte?
La plupart des données recueillies proviennent d’entretiens ou de sources numériques telles que des outils d'analyse Web, mais nous avons également trouvé des données dans des endroits inattendus. Un de nos bénévoles a remarqué que la fenêtre de la caisse empêchait les visiteurs, surtout les plus âgés, d’entendre ce qui se disait derrière la vitre. Le volontaire a recueilli des données simples, c’est-à-dire le nombre de visiteurs qui avaient du mal à entendre à la caisse, et a proposé des solutions. Nous avons simplement supprimé la fenêtre de la billetterie, ce qui a entraîné une expérience des spectateurs bien plus fluide. C’est un exemple d'une infime partie de ce qui fait toute une expérience cinématographique, mais quand des améliorations marginales sont accumulées, le résultat est une expérience nettement meilleure pour le public.
8 - En termes de programmation, quels changements avez-vous apporté?
Étant donné que notre public est susceptible de rester chez lui pour regarder des films, nous avons réalisé que nous devions trouver des moyens de rendre l'expérience de la salle supérieure à tout autre mode de visionnage d’un film. Nous pouvons proposer des expériences totalement uniques à notre cinéma. Nous invitons les réalisateurs à des débats le plus souvent possible et nous projetons des films qui ne peuvent être vus ailleurs. Cet automne, nous organisons des événements uniques, notamment des projections autorisées aux chiens et des projections ”tricot” où la lumière est maintenue, mais à un niveau très bas, pour permettre aux spectateurs de tricoter pendant le film.
9 - Quels sont les résultats de cette refonte?
En 2017, nos entrées ont augmenté de près de 50% par rapport à l'année précédente. C'est bien, mais ce qui compte, c'est que nous avons pu au cours de cette année améliorer considérablement la manière dont notre public fait l'expérience du cinéma dans notre salle.
Nous sommes convaincus que le film a la capacité de changer le monde. Chaque billet vendu a le potentiel de changer une vie et en améliorant un peu notre cinéma chaque jour, nous augmentons la possibilité qu’une expérience radicale ait lieu au sein de notre public.
10 - Comment poursuivre dans cette direction?
Une fois que vous commencez à collecter des données et à voir le potentiel d'une itération constante permettant d’améliorer l’expérience du spectateur, vous réalisez que ça ne peut pas s’arrêter. Nous avons encore de nombreuses idées à tester et il y a tellement de choses à améliorer que nous continuerons à être curieux et à continuer à collecter de nouvelles données.
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Communiqué de presse, Images du cinéma à télécharger:
https://we.tl/t-3tiZ4jIwKu
Août 2018, propos recueillis par Jean-Baptiste Selliez
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