Casablanca Filmkunsttheater, Nuremberg
Matthias Damm
Un cinéma rétro avec une programmation innovante et audacieuse.
Le cinéma Casablanca fait songer à une machine à remonter le temps. Il est situé dans un ancien bâtiment qui abritait autrefois une imprimerie, avec de vieilles fenêtres en métal, de grands miroirs dans un petit hall, et un immense buffet en bois noir derrière un vieux bar. Ce n’est pas un lieu où l’espace est optimisé ou parfaitement planifié. Au contraire, tout semble être en place depuis des décennies, et personne n’a l’intention d’y changer quoi que ce soit. Les projectionnistes changent les affiches tous les soirs et présentent les films à l’affiche avec un système d’affichage ancien de lettres en plastique noir. C’est un lieu où le temps semble s’être arrêté il y a 40 ans.
En réalité, le Casablanca a beaucoup évolué depuis son inauguration en 1976 et a récemment fêté son 40ème anniversaire (septembre 2016). En 1976, les multiplexes n’existaient pas. De nombreux films ne passaient pas sur les écrans de Nuremberg, mais les deux, puis trois écrans du cinéma Casablanca ont véritablement changé la donne pour les cinéphiles. Malgré tout, en 2009, la fin du Casablanca a été annoncée. L’ancien directeur voulait fermer le cinéma à cause de ses chiffres en baisse et du cinéma numérique qui pointait à l’horizon.
Un petit groupe de cinéphiles a sauvé le Casablanca
C’est alors qu’un petit groupe de cinéphiles a fait son entrée en scène pour sauver le Casablanca – sans compétences en la matière et avec de grands (mais très naïfs) projets. Presque sans un sou, mais avec de bons contacts dans la ville et dans tout le domaine de la culture, ils ont relevé le défi. Comme l’ancien propriétaire avait retiré une grande partie de l’équipement, de vieux sièges récupérés dans un théâtre ont été installés, les murs ont été enduits et repeints, les toilettes grotesques remplacées, l’équipement 35 mm remis correctement en état pour la première fois depuis dix ans, et un simple projecteur numérique a été installé.
Le cinéma a ré-ouvert quelques mois seulement après sa fermeture, toujours sans réel projet pour l’avenir, alors que l’avènement de l’âge numérique était imminent et qu’une importante somme d’argent était nécessaire. L’appui financier d’une banque locale, véritable deus ex machina correspondant à l’imposante somme de 250 000 euros, ainsi que celui plus ou moins grand des fans du Casablanca, a permis à nos cinéphiles d’accomplir un travail de base avec ce qui était à leur disposition, d’acheter des sièges convenables et un matériel technique plus efficace.
Aujourd’hui, le Casablanca compte deux employés à plein-temps, plus de 20 personnes à temps partiel chargées des tâches allant de la projection au service, un vaste groupe de bénévoles qui vendent les billets, organisent les événements et assurent le fonctionnement des activités, ainsi que plus de 900 membres adhérant à l’association officielle à but non lucratif. Lorsque l’ère de la numérisation est arrivée en 2012, un équipement numérique de pointe comprenant le 3D dans deux salles a été installé.
Au-dessus de l’entrée, la vieille enseigne lumineuse où l’on peut lire « Lichtspiele » (mot désuet allemand pour désigner les séances au cinéma) a été refaite – comme beaucoup d’autres choses dans le nouveau Casablanca – évoquant la promesse que les choses resteront telles qu’elles sont.
Le nom du cinéma s’accompagne maintenant de la dénomination « Kino mit Courage » (« Cinéma avec courage » – le mot contenant les notions à la fois d’audace et de détermination en allemand).
Des séances se déroulent avec une lumière tamisée pour les personnes qui souhaitent tricoter pendant le film
Aujourd’hui, Nuremberg dispose de plus de 25 salles pour le grand public, la plupart abritées dans le plus grand complexe cinématographique d’Europe, le Cinecittà. Pourtant, le Casablanca (avec seulement 160 sièges répartis dans ses trois petites salles) ne fait pas que survivre, il prospère maintenant avec un nombre croissant d’entrées, plus de 100 premières, plus de 250 films différents projetés chaque année, des invités et des événements spéciaux chaque semaine. Le Casablanca est un cinéma de niche toujours à la recherche d’un public pointu.
Certaines sont évidentes, comme les séances proposant des films de qualité pour les enfants, des films pour la communauté LGBT, des courts-métrages et des événements coproduits avec toutes sortes de groupes culturels et politiques. D’autres sont plus insolites, comme le Nuremberg Bike Film Festival chaque année, ou l’organisation de séances avec une lumière tamisée pour les personnes qui souhaitent tricoter pendant le film.
Professionnellement parlant, c’est une grande satisfaction de savoir que l’on n’est pas obligé de présenter tous les blockbusters prévisibles, ennuyeux, mais appréciées de tous, et que l’on peut chercher les perles rares parmi le nombre incroyable de films qui sortent chaque année. Les films présentés viennent de tous les coins du monde, et plus particulièrement d’Europe.
Pourquoi ne pas voir des films grand public sous un angle entièrement différent et en discuter avec des invités de renom ?
2016 est une année qui a connu une légère baisse du nombre des entrées, mais qui a été tout de même très bonne comparée au marché national. Des films tels que COMME UN AVION de Bruno Podalydès et le film islandais HRÙTAR (« Béliers ») de Grímur Hákonarson se sont classés au top 10 mené par deux productions allemandes, GOODBYE BERLIN de Fatih Akin et TONI ERDMANN de Maren Ade.
Enfin, c’est une extrême satisfaction de pouvoir essayer de nouvelles idées. Et si nous organisions un week-end de films sur la psychanalyse ? Et si nous installions du 3D et présentions non seulement des films familiaux grand public mais aussi des films d’art et d’essai qui ne sont montrés nulle part ailleurs ? Pourquoi ne pas voir des films grand public sous un angle entièrement différent et en discuter avec des invités de renom ? Pourquoi ne pas organiser une avant-première privée et présenter non seulement des comédies françaises mais aussi des films comme REMAINDER ou ELLE ? Tout ceci est possible entre les vieux murs du Casablanca. C’est beaucoup de travail, mais cela en vaut largement la peine.
Matthias Damm, Directeur
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http://www.casablanca-nuernberg.de/
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